Cameroun : plus de 2 000 ha de terres agricoles engloutis par l’orpaillage à l’Est
Au Cameroun, l’intensification de l’exploitation minière artisanale et semi-mécanisée dans la région de l’Est, a entraîné la disparition de 2 025 hectares de terres agricoles au cours des quatorze dernières années. Soit 44% de la superficie totale occupée par ces activités. C’est la conclusion de deux rapports d’études récemment rendus publics par l’organisation environnementale Forêt et Développement Rural (Foder), réalisées sur la base de données collectées entre 2010 et 2024, sur l’exploitation minière artisanale dans le département de la Kadey, notamment à Batouri, Kette et Kentzou, et ses conséquences sur l’environnement, la santé et la sécurité des travailleurs sur les sites.
L’analyse du Foder révèle une expansion fulgurante de l’activité minière dans la zone étudiée. Selon ces rapports, la superficie dédiée à l’exploitation aurifère est passée d’à peine 82,48 ha en 2010 à 4 639,69 ha en 2024, soit une augmentation de 5 490% en 14 ans. L’arrondissement de Batouri est le plus touché par cette progression, voyant ses zones d’exploitation bondir de 79 ha à 3 247 ha sur la même période. Kette n’est pas en reste, avec une augmentation significative de 4 à 1 327 ha. « Cette expansion s’est faite au détriment du couvert végétal, avec 2 614,4 hectares détruits, principalement en raison d’une exploitation anarchique, et des terres agricoles, dont 2 025,6 hectares ont été convertis en sites miniers », précise l’ONG.
Mécanisation et impact sur la sécurité alimentaire
Cette conversion massive des terres agricoles en zones minières est principalement attribuée à l’introduction des engins lourds sur les sites d’exploitation dès 2015, selon les observations d’Hermine Tanga, cartographe au sein du Foder. Ce passage à une exploitation semi-mécanisée a amplifié l’emprise spatiale des activités extractives, entraînant des conséquences directes et préoccupantes sur la disponibilité alimentaire locale. Concrètement, la réduction significative des terres arables a contribué à l’inflation des prix des denrées et à l’aggravation de l’insécurité alimentaire dans la région de l’Est. À fin septembre 2023, le taux d’inflation dans cette partie du pays a atteint 10,2%. Les projections établies par les études du Foder sonnent comme un avertissement : « en l’absence de mesures correctives urgentes, la superficie exploitée pourrait atteindre des seuils critiques d’ici 2040, avec 7 500 hectares anticipés à Batouri et 3 000 hectares à Kette ».
Dangers et risques pour les mineurs
Au-delà des pertes de terres et des dommages environnementaux, les études du Foder relèvent aussi les dangers et risques auxquels sont confrontés les artisans miniers dans cette partie du pays. En effet, souligne l’ONG, les sites d’exploitation ne sont pas réhabilités et sont parsemés de trous béants constituant un danger mortel de noyade, d’éboulements et de glissements de terrain. Par conséquent, les riverains sont exposés à des produits chimiques dangereux comme le mercure et le cyanure, à l’origine de maladies respiratoires, des brûlures et des intoxications. De plus, « le broyage du minerai génère des poussières de silice et des niveaux de bruit élevés, responsables de la silicose et de déficiences auditives. Entre 2014 et 2022, 205 décès ont été recensés dans les sites miniers artisanaux de l’Est et de l’Adamaoua, principalement dus à des glissements de terrain et des éboulements », notent les rapports.
Un commerce illégal d’or florissant
Pourtant, près de 90% de l’or extrait par ces méthodes échappe aux circuits officiels. Selon un récent rapport de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), seulement 47 879 grammes d’or ont été exportés formellement en 2022, représentant à peine 8% des quantités déclarées après prélèvement de l’Impôt Synthétique Minier Libératoire (ISML). Ces révélations soulignent l’urgence d’une action concertée pour réglementer et encadrer l’exploitation minière artisanale au Cameroun. Les rapports de Foder recommandent notamment la mise en place de comités de surveillance, la sensibilisation des mineurs aux risques sanitaires…
L’œil de la rédaction